« Au temps où les arbres marchaient sur la Terre, qu’ils soulevaient leurs robes de racines et allaient parlant le vieux langage, eut lieu une grande assemblée boisée. Éveillés autrefois par des elfes habiles et généreux, les arbres se réunirent avec ferveur au grand soleil d’une clairière moussue, se proposant comme parrains et marraines des êtres humains. Les premiers bébés étaient en train de naître, portés par des coroles tombées du ciel.
Assis en tailleur ou à genoux, bras-branches dessus dessous, amicaux comme ils le sont, les géants riaient. Le cercle fraternel parcouru d’abeilles et de papillons se présentait, tel un joyeux chantier où chacun allait offrir aux nouveaux venus un don. Comme c’était la Lune de l’Aulne, le jour entre la fin de la lune vieille et le début de la suivante, le roi de l’hiver ouvrit la séance. L’ancêtre connaissait le secret du feu et celui de la vie après la mort. Pieds nus dans l’eau fraîche, la voix claire, il commença :
-Ces êtres vont aller et venir sur la peau de la terre, monter au ciel et redescendre toujours plus nombreux. Puisqu’ils sont nos petits frères, que chacun de vous leur offre une ou plusieurs qualités uniques et indispensables. Au moment venu, je leur donnerai le feu.
-Ils auront besoin de la beauté, qu’elle les touche, dit le Bouleau. Elle est à eux.
-Force et connaissance, tonna le Chêne.
-J’offre paix et douceur, fit l’Olivier.
Les branches se levaient comme des mains d’écoliers sous l’œil encourageant du Soleil.
-Qu’ils soient mâles et aussi femelles, chanta le Noisetier. Qu’ils aient du plaisir à l’entraide, fit le Sorbier. Une bonne intelligence avec la terre, ajouta le Noyer.
Et, ainsi, la journée durant, les dons se multiplièrent : la droiture et le courage cadeau de l’Érable, l’élévation celui du Mélèze. Puis la délicatesse du Figuier, l’amour du Cèdre, l’unité du Pommier, la liberté du Frêne, la justesse et la tolérance du Charme, la noblesse du Châtaignier. Enfin, le Saule accorda la fluidité, le Sapin diffusa la sagesse des plantes, l’art du soin par les eaux florales et les huiles, la myrrhe et l’encens, et le Tilleul fit don aux êtres humains de l’art de rêver.
Dans le silence, avant que le cercle ne se rompe dans la paix du soir, le Hêtre prit la parole, tandis qu’apparaissaient les premières étoiles :
-Je donne la persévérance et la confiance dans le jaillissement de la vie. Frères et sœurs boisés, nous sommes liés à tout jamais aux jeunes créatures. Même fibre, même charpente, nous échangerons nos souffles. Le temps est venu d’aller nous planter en terre, d’être des guides, des signaux vivants de leur propre essor. Sitôt nous communiquerons entre nous par la voie des racines et de la canopée. Ceux qui ont des oreilles nous entendrons.
-Et s’ils perdaient nos vertus, s’inquiéta l’Orme ?
-Nous souffririons, répondit le Platane, mais ils liraient sur nos écorces altérées l’origine du mal qui les ronge. En rectifiant, ils nous guériraient. Nous sommes liés, notre propre nature est en eux.
-Nos fibres sont nattées de patience, conclut le Néflier, ce que nous leur donnons ici trouvera son chemin. »