» L’homme était souffrant depuis neuf mois, son corps lui faisait mal, sa tête semblait dans un étau. Dans le clan, le vieux chamane s’était éteint depuis quelques hivers, plus personne ne pouvait le guérir, ni même le soulager. Une nuit, sur son lit de douleur une femme au visage de mandorle s’approcha de lui. Elle arborait les parures des femmes toungouses, ses cheveux tombant sur ses épaules en petites tresses noires. Elle était plus belle que toutes les filles goldes dont il avait croisé le chemin. Chaque nuit elle venait hanter ses rêves. Son regard magnétique le fascinait dans un mélange d’attirance et de crainte sacrée. Une nuit elle s’adressa à lui.
-Je suis une áyami, une femme-esprit de la taïga. J’ai enseigné et assisté la lignée des plus grands chamanes du fleuve Amour. Je leur ai donné des sywen, des esprits auxiliaires, je leur ai appris à chamaniser. Maintenant, c’est à ton tour… »
La femme esprit-©Contes des sages chamanes-Pascal Fauliot et Patrick Fischmann-Seuil
« Le pas chantant de mon cheval
Fait tinter les grelots des rênes,
Mon âme est comme celle de Tarvaa.
Elle a ramené de l’autre monde
Les légendes, les contes et les chants.
Je les ai enlevés telle une fiancée
Et je vais à bride abattue
Vers la terre glorieuse des bardes. »
… « Il marchait maintenant sur un sentier sinueux entre des arbres immenses. Il arriva devant une gigantesque hutte de branchages. Une voix caverneuse l’appela de l’intérieur : -Entre, goutte-au-nez, je t’attendais.
Il distingua dans la pénombre un colosse à la luxuriante chevelure turquoise. Son visage aussi ridé qu’un vieux tronc était plus rouge que celui d’un indien. Sa tunique était faite d’écorces moussues.
-Que viens-tu chercher ici, misérable deux-jambes ?
-L’art de faire un arc.
-Que comptes-tu en faire ?
-Soulager la vie de ma grand-mère.
-Bien, ton cœur parle au mien. Nous sommes parents. Tu ne demandes rien pour toi-même. Que tes mains s’accordent à mon chant ! Tu seras l’un de mes fils. Mais en signe de notre alliance, n’accepte jamais de la nourriture qui aura été cuite avec du bois de cèdre rouge.
Et le géant souffla sur lui la fumée de son calumet pour le bénir… »
Goutte-au-nez et Cèdre rouge©Contes des sages peaux rouges-Pascal Fauliot et Patrick Fischmann-Le Seuil
« Aux temps anciens, des cavalières et des archères farouches galopaient au côté de guerriers nourris au lait de jument. Ces images légendaires voguaient de la Mer Noire au Pays des Mille Lacs. On racontait que des filles de fées se réunissaient près des sources sur des rives étincelantes, que des femmes esprits s’unissaient à de jeunes mongols fiévreux, choisis par elles pour les guérir, puis les revêtir du manteau du chamane. On disait que des beautés attendaient les braves dans des gers somptueuses pour les aimer durant une lune entière, que des femmes-étoiles parfois passaient la ligne secrète du ciel.
Or, en ce temps reculé vivait un très beau jeune homme qui s’appelait Namjil. Il avait non seulement pour lui la beauté mais sa voix sublime le faisait chevaucher avec l’harmonie. Ainsi dans la région de l’Onon, et de la Kèrulen au lac Buir Nuur, on l’appelait Namjil le Coucou… »
Namjil le Coucou©Contes des sages de Mongolie-Patrick Fischmann et G. Mend Ooyo-Le Seuil
Après le beau succès des Contes des sages gardiens de la Terre, ce nouveau volume des Gardiens de la mer constitue une sorte de manifeste poétique qui nous plonge dans l’imaginaire des sagesses populaires, de la Manche à l’Atlantique, de la Baltique à la Méditerranée, des eaux du Pacifique à la mer du Japon… Une traversée initiatique aux côtés d’animaux marins, de héros légendaires et de simples pêcheurs. On y rencontre la princesse Otohimé du Japon, le Vieux de la mer des Tartares, d’indomptables pirates, druides, bardes et autres sirènes. Au coeur de cette « galerie marine », les récits convoquent le peuple des océans, des dauphins fidèles compagnons des hommes aux baleines offrant leur rêve et leur souffle au monde.
En cette époque de « tempête écologique », les auteurs font appel à leur talent de conteurs, en écho aux traditions populaires, pour ainsi contribuer à l’éveil des consciences, et sauvegarder cette source-monde que sont les mers, mères nourricières, réjouissantes, parfois terrifiantes, riches de légendes universelles qui façonnent nos imaginaires, et dont chaque goutte irrigue notre planète bleue.