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Le barde au cheval ailé

(Contes des sages de Mongolie)

3 février 2018/Un conte de Patrick Fischmann/7 min. read

Le barde au cheval ailé

« Que ce soit près de Mère-Océan, le grand lac bleu où « ceux qui ont des rennes » vivent avec les esprits de la Taïga ou dans les monts enneigés de l’Altai Nuruu des « vagabonds de la steppe » qui chassent avec leurs aigles, les nomades mêlent leurs vies aux animaux-légendes. Dans le Gobi des chameaux sauvages, il est de fameuses histoires dont on ne sait pas si elles ont été vécues avant d’être racontées. Partout, d’Est en Ouest et du Nord au Sud, combien d’ours appelés chéri, de lynx malicieux, gloutons, blaireaux, grues ou cygnes qui participent à d’étonnantes aventures. Sans compter les marmottes, les élans, les loutres et les écureuils, les panthères des neiges, les loups, ces seigneurs bleus qui sont l’objet d’admiration et de crainte. Mais l’un des animaux-légendes demeure un mystère pour le plus grand nombre. Il est connu des chamanes, des princes du ciel et de leurs bergères, et bien sûr des bardes. Comme dans d’autres contrées, le destin du cheval ailé est triste car il semble sacrifié. Mais il passe dans l’invisible pour demeurer dans la puissante imagination et la grande sensibilité de son cavalier.

Elle, était la toute jeune fille d’un berger. Et toutes les nuits, elle était visitée par un prince de l’autre monde qui la trouvait très belle. Elle veillait et elle guettait sa venue, toujours annoncée par un grand froissement d’ailes et un bref galop. Alors elle sortait discrètement de la ger et sous la voûte céleste, ils passaient leur temps à se remplir les yeux de sources bienfaisantes, chacun lisant dans ceux de l’autre, l’amour qu’ils éprouvaient eux-mêmes. Au matin, la belle souffrait d’un mal étrange qui la laissait en grande détresse. Alors vînt une idée terrible, cruelle et folle pour garder auprès d’elle son prince des cieux. Tandis qu’il était assoupi, elle contourna la ger, coupa les grandes plumes blanches de son cheval ailé. A l’aube, elle vit pourtant avec crainte son prince s’élever puis perdre de l’altitude, remonter et redescendre encore pour aller se perdre derrière les montagnes.

Luttant avec toute son ardeur, le cheval survola un temps le grand désert et finit par s’y laisser tomber, mourant. Le prince était seul, pris entre les deux mondes qu’il aimait et ne reverrait plus : le ciel et les grands yeux de sa bergère. Alors, son âme fusionna avec celle de son cheval ailé. Il sut ce qu’il devait faire, fit un violon de ses os, de ses crins, se fit ménestrel. Dorénavant, il incarnerait ce poète qui vit en chacun et qui chante la secrète union avec d’autres mondes et d’autres sources. Il alla sur les chemins de la Mongolie et grandit en sagesse, portant sa vièle sur le dos.

Elle dépassait de chaque côté de sa tête.

On eut dit qu’il avait des ailes. »

Patrick Fischmann©Contes des sages de Mongolie – Seuil

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